` Anne-lise RIAS
#2 Robotisée

Femmes & Travail : une galerie de portraits

Le futur du travail des femmes questionne le travail des femmes, tel qu'il est organisé, représenté et pratiqué aujourd'hui, à la lumière de l'anthropocène. Ce projet vise à proposer des hypothèses de changements pour nous permettre, collectivement, d'imaginer de nouveaux récits sur les femmes qui travaillent.
En tant que designer-chercheuse, je contribue à créer les conditions nécessaires à l'émergence de nouveaux récits et représentations du futur du travail des femmes.

Galerie de portraits est une série de 26 textes courts créés à partir de représentations courantes, de données sociologiques et statistiques actuelles recueillies au cours de mes recherches. Ce sont des récits de situations professionnelles de femmes fictives décrivant des attachements et dépendances qui lient ces femmes à leur travail.

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La Robotisée

"Elle n’a pas véritablement de corps, sa voix est utilisée comme marqueur de sa féminité. Ils les ont nommées Siri, Alexa, Alice, Silvia, Cortana et Bixby, ou Mimi et Vera des Hubots dans la série Real humans (2012), ou encore Samantha dans le film Her (2013). Elle est l’assistante de, au service de, elle se doit d’être disponible, jours et nuits. Malléable, programmable, on attend que la robotisée exécute, sans discuter ni se plaindre. Qu’elle obéisse et serve.
Elle assure le travail domestique, familial et affectif, et même des se(r)vices sexuels. On compte sur elle pour des tâches ingrates : rappeler les rendez-vous et les courses à faire, trouver rapidement une adresse, une réponse à une question métaphysique, informer sur la circulation routière, faire une dictée. Et aussi pour des tâches sensibles : rassurer, tenir compagnie, faire la conversation, complimenter. Tout cela sans même avoir besoin de lui dire merci pour le service rendu ni la rémunérer. Evidemment, elle n’est pas humaine.
Sa voix est parfois incarnée dans un corps mécatronique stéréotypé (peau très lisse, grosse poitrine, souriante, visage maquillé, cheveux longs). Sofia (activé en 2015 à Honk-Kong) a par exemple été modelé à partir du corps de l’actrice Audrey Hepburn. Initialement, les inventeurs de Sofia l’ont pensé pour être la compagne idéale des personnes âgées en maison de retraite (!) ou pour guider les foules lors d’évènements. Finalement, ils lui font jouer un rôle d’égérie, un objet de marketing, un exemple pour favoriser le développement d’assistants robotisés. La robotisée n’est pas humaine mais son travail et son statut ressemblent furieusement à ceux assignés aux femmes en chair et en os. Tout comme on dit les “soignants” ou les “agents de vente” pour parler de ces métiers occupés à plus de 80% par des femmes, on utilise là “assistants vocaux” ou “assistants domestiques”. Soi-disant féminine et en même temps effacée, pas correctement désignée. Toute ressemblance avec les humaines qui travaillent ne saurait être fortuite."

Création et rédaction des textes : Anne-lise Rias.
Projet sélectionné pour l'exposition Point Commun par l'Alliance France Design (octobre 2020).