` Anne-lise RIAS
#5 Étudiante-pro

Femmes & Travail : une galerie de portraits

Le futur du travail des femmes questionne le travail des femmes, tel qu'il est organisé, représenté et pratiqué aujourd'hui, à la lumière de l'anthropocène. Ce projet vise à proposer des hypothèses de changements pour nous permettre, collectivement, d'imaginer de nouveaux récits sur les femmes qui travaillent.
En tant que designer-chercheuse, je contribue à créer les conditions nécessaires à l'émergence de nouveaux récits et représentations du futur du travail des femmes.

Galerie de portraits est une série de 26 textes courts créés à partir de représentations courantes, de données sociologiques et statistiques actuelles recueillies au cours de mes recherches. Ce sont des récits de situations professionnelles de femmes fictives décrivant des attachements et dépendances qui lient ces femmes à leur travail.

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L'étudiante-pro

"Majeure. Ni apprentie ni stagiaire. Elle fait partie des 46% d’étudiant·es qui travaillent, en France, en parallèle de leurs études. Elle est étudiante à l’université et “équipière” pour une chaîne de fast-food. Initialement, elle visait une école de commerce privée, mais rien que le coût de l’inscription lui aurait demandé de travailler plus de 35 heures par semaine (ou alors de prendre un crédit). Logement, inscription, bouffe, fringues, soirées, abonnement aux transports, changer d’ordi portable si possible, le total lui fait écarquiller les yeux. Finalement, elle est plutôt satisfaite d’avoir trouvé ce contrat de 23 heures par semaine, son objectif était d’éviter d’être contrainte à rembourser un crédit avant même d’avoir terminé ses études. Le côté positif c’est qu’elle peut se faire une première expérience professionnelle, certes éloignée de son domaine d’études.
Elle avait envoyé pas mal de CV et passé quelques entretiens d’embauche. La majorité des annonces concernaient la livraison - par scooter ou vélo - elle a postulé mais ils ne l’ont jamais rappelée. En deux ans elle a été babysitter, serveuse dans un petit resto, elle a fait du réassort dans un magasin de fringues - précisément pour le “bar à culottes”- et aussi caissière dans une pharmacie de garde. Ce dernier job a été très pesant pour elle, à cause des horaires du soir et de la population souvent agressive qu’elle rencontrait. Au printemps, épuisée, elle en a parlé à sa copine. En rigolant celle-ci lui a suggéré de chercher du côté du “sugar dating”, de regarder les “offres” sur des sites où des hommes -et quelques femmes- cherchent des relations avec des jeunes comme elle. “Mais ça te dérangerai pas si je suis pute ?” lui avait-elle répondu.
Vendredi 11h, elle retire ses deux piercings avant d’enfiler son polo d’entreprise. Ok il sent déjà la frite alors qu’il sort du placard mais elle préfère encore faire cuire des steaks que de se promener avec un vieux mâle riche au cinéma -trop de risques de tomber sur quelqu’un qu’elle connaît et qui la dénoncerai à ses parents. En plus elle préfère les femmes."

Création et rédaction des textes : Anne-lise Rias.
Projet sélectionné pour l'exposition Point Commun par l'Alliance France Design (octobre 2020).