Femmes & Travail : une galerie de portraits
Le futur du travail des femmes questionne le travail des femmes, tel qu'il est organisé, représenté et pratiqué aujourd'hui, à la lumière de l'anthropocène. Ce projet vise à proposer des hypothèses de changements pour nous permettre, collectivement, d'imaginer de nouveaux récits sur les femmes qui travaillent.
En tant que designer-chercheuse, je contribue à créer les conditions nécessaires à l'émergence de nouveaux récits et représentations du futur du travail des femmes.
Galerie de portraits est une série de 26 textes courts créés à partir de représentations courantes, de données sociologiques et statistiques actuelles recueillies au cours de mes recherches. Ce sont des récits de situations professionnelles de femmes fictives décrivant des attachements et dépendances qui lient ces femmes à leur travail.
"Version numérique de l’égérie ou de la muse d’antan. Son travail c’est d’influencer les autres. Elle est mannequin et blogueuse mode, youtubeuse beauté ou influenceuse lifestyle. Elle saura vous conseiller pour votre prochain voyage ou votre routine cheveux mais elle partage aussi des idées de déco. Son expérience professionnelle tient entièrement dans les quatre dernières années. Pendant un temps elle pensait devenir comédienne de théâtre ou de cinéma mais ça ne rapporte pas assez. Elle incarne, au sens physique du terme, des valeurs qui ne sont pas les siennes, en général celles de marques de produits. Elle défile devant des spectateurs, à travers un petit écran ou physiquement sur un podium.
En fait elle n’a pas vraiment d’horaires ni de lieu de travail mais plutôt des “moments uniques”, qu’elle appelle “expériences”. D’ailleurs elle est souvent en déplacements professionnels. Payée au post, sans poste de travail. Sa mission n’est pas tant d’exprimer ses idées à elle que de vivre à fond celles des autres. Elle se décrit comme une self-made woman. Sous pseudo ou avec son prénom, c’est rarement son appartement qu’elle filme. Elle collabore parfois avec une agence pour le montage des vidéos, la qualité du son et pour faire vérifier les contrats. Au début c’était un complément de revenu, en parallèle de son job d’employée dans une banque. Maintenant c’est son taf principal (mais pas à temps plein), il lui rapporte environ 18 000€ par an. Son entreprise a désormais un statut juridique. Elle ne gagne pas tout le temps de l’argent mais elle bouffe gratos au nouveau resto qui veut se faire connaître, les marques lui envoient des vêtements et elle a déjà été invitée au spa. En évolution de carrière elle pense devenir bookstagrameuse. Problème : elle est allergique aux poils de chat et n’aime ni le thé ni le café. Elle a quelques collègues masculins, ils postent pour une marque de crème glacée, des jeux vidéos ou des marques de sport. En chatant avec eux elle a appris que les influenceuses gagnent en moyenne 31% de moins que les influenceurs pour un partenariat avec une marque. Ils sont beaucoup moins nombreux qu’elles sur les réseaux. Ils disent qu’elle est futile, nunuche ou maline, “elle sait faire de l’argent”, elle a saisi une opportunité.
Elle se demande parfois comment elle travaillera quand elle aura 50 ans. Pas le temps d’y réfléchir plus que ça, elle a atteint les 60 000 followers ça mérite bien une story !"
Création et rédaction des textes : Anne-lise Rias.
Projet sélectionné pour l'exposition Point Commun par l'Alliance France Design (octobre 2020).
